Tout fout le camp : la fin des chèques Reka marque la fin d’une époque

Reka entre dans une nouvelle ère : le chèque Reka est définitivement remplacé.

Un adieu à un symbole du quotidien suisse

C’est officiel : les chèques Reka, familiers à plusieurs générations de Suisses, vont disparaître. À partir de janvier 2026, il ne sera plus possible d’en acheter. Cette décision marque la fin d’une époque pour ce moyen de paiement introduit en 1966, et qui a longtemps été considéré comme la première prestation salariale accessoire du pays.

Depuis leur apparition, les chèques Reka ont permis à de nombreux ménages d’alléger les coûts liés aux loisirs, aux vacances ou à la mobilité. Leur succès n’est pas anecdotique : en 1970, les ventes atteignaient déjà 68 millions de francs. Ce chiffre a depuis été multiplié, franchissant même le cap du demi-milliard de francs. Un succès discret, mais profondément ancré dans la vie de tous les jours.

La montée en puissance du numérique

Derrière cette décision, on retrouve une évolution des usages bien connue : la digitalisation des paiements. En Suisse comme ailleurs, l’argent liquide recule. Les cartes et les paiements mobiles deviennent la norme. Ce n’est donc pas un hasard si 94 % des ventes d’argent Reka sont aujourd’hui effectuées via la Reka-Card, lancée en 2006.

Un tournant a été pris en 2021 lorsque Coop, partenaire historique de Reka, a décidé de cesser d’accepter les chèques papier. Ce choix a eu un effet d’entraînement : de plus en plus de points d’acceptation ont suivi, préférant les transactions numériques, plus rapides et faciles à intégrer à leur gestion comptable.

La chute de la demande était inévitable. Reka n’a donc fait que formaliser une tendance déjà bien engagée.

Une carte cadeau en guise de relais

En réponse à cette mutation, Reka a lancé une nouvelle carte cadeau numérique. Disponible dès maintenant, elle reprend l’usage des chèques sous une forme plus moderne. Elle permet de régler ses dépenses dans les 6’000 points d’acceptation habituels, que ce soit physiquement ou en ligne.

Cette carte s’adresse autant aux entreprises souhaitant récompenser leurs collaborateurs, qu’aux particuliers à la recherche d’une idée de cadeau “utile”. À bien des égards, elle est plus souple que les anciens carnets papier : pas de coupure fixe, pas de risque de perte physique, et une gestion entièrement numérique.

Mais si elle gagne en praticité, elle perd en charme. Offrir une carte, fût-elle pratique, n’a pas tout à fait la même saveur que remettre un carnet soigneusement glissé dans une enveloppe. L’objet disparaît, le geste se simplifie… et se banalise.

Le papier, une espèce en voie de disparition

La disparition des chèques Reka n’est qu’un exemple parmi d’autres. Le recul du papier est général : billets de banque, tickets de caisse, journaux, lettres, cartes de vœux… tout passe au numérique. La logique est économique, écologique, souvent fonctionnelle. Mais elle soulève aussi des questions.

L’uniformisation des supports numériques peut conduire à une perte de repères concrets, voire de lien affectif. Les objets physiques portaient une forme de mémoire, d’usage, de ritualité. En les remplaçant par des applications ou des interfaces en ligne, on gagne en efficacité, mais on perd un peu d’humanité.

Les chèques Reka faisaient partie de ces objets : reconnaissables, maniables, visibles. Ils disaient quelque chose du rapport à l’argent, à l’effort et à la récompense. Leur disparition n’est donc pas uniquement un changement logistique, c’est aussi la fin d’un petit rituel helvétique.

Ce que disent les chiffres

Reka reste une structure solide. Son modèle repose aujourd’hui largement sur les supports numériques, comme le montre le succès de la Reka-Card. Plus de 550’000 personnes l’utilisent régulièrement, et plus de 4’500 employeurs intègrent Reka dans leurs prestations sociales.

Le portefeuille de produits s’est d’ailleurs élargi : Reka-Pay, Reka-Lunch, Reka-Rail+. Ce dernier, dédié à la mobilité durable, devrait représenter à lui seul 25 millions de francs en 2025. En tout, les ventes globales avoisinent toujours les 500 millions de francs par an.

Ce dynamisme montre que la coopérative ne s’effondre pas avec ses chèques. Elle s’adapte, elle évolue. Mais à sa manière, elle participe aussi à l’effacement progressif de certains repères tangibles de la vie quotidienne.

Une décision logique, mais pas sans conséquences

Il serait injuste de reprocher à Reka de céder à la modernité. La gestion de carnets papier coûte cher, tant en production qu’en distribution. Leur usage restait limité à un cercle de plus en plus restreint. Et face à une majorité de consommateurs déjà passés au tout-numérique, l’abandon du support physique semblait inévitable.

Mais cette décision laisse aussi les nostalgiques sur le carreau. Ceux qui aimaient feuilleter leur carnet pour calculer un budget vacances. Ceux qui prenaient soin de ne pas déchirer un chèque de 10 francs trop vite. Ceux qui voyaient dans ces petits coupons un peu plus qu’un simple moyen de paiement.

C’est là le paradoxe de la transition numérique : elle rend service, mais elle efface doucement un patrimoine de gestes, de supports, de codes.

Et maintenant ?

Les détenteurs de chèques Reka peuvent se rassurer : aucune date d’expiration n’est prévue pour ceux qui sont déjà en circulation. Ils resteront valables indéfiniment, du moins en théorie. En pratique, les points d’acceptation pourraient, eux, devenir plus rares à mesure que l’usage se raréfie.

Il est donc sans doute temps de les utiliser. Pour un week-end en famille. Un billet de train. Un repas au restaurant. Et peut-être en garder un, pour la mémoire.

Un vestige des années où le numérique n’avait pas encore tout absorbé. Un petit morceau de papier chargé d’histoire. Un objet modeste, mais bien vivant.

Une époque se ferme

La fin des chèques Reka n’est ni une tragédie, ni une surprise. Mais elle illustre avec force la manière dont le monde évolue, parfois sans retour. Ce qui semblait aller de soi il y a vingt ans est aujourd’hui un souvenir. Et ce souvenir deviendra bientôt un objet de collection.

“Tout fout le camp”, dit-on souvent avec un sourire en coin. C’est une manière de marquer une perte sans se plaindre vraiment. De reconnaître que le progrès n’est pas toujours synonyme de mieux, mais de différent. Et que dans ce mouvement perpétuel, il est bon de savoir s’arrêter un instant pour regarder ce qu’on laisse derrière.

Alors oui, les chèques Reka, c’est fini. Mais on leur dira merci quand même. Et peut-être, un peu, au revoir.

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